Les araignées, un univers en soie – avec Christine Rollard

Christine Rollard à son bureau, jeudi 28 octobre 2020

Je ne l’ai pas fait exprès, mais cette coïncidence tombe à pic : à quelques jours d’Halloween, alors que fleurissent partout ces effrayantes décorations qui amusent tant les enfants, j’ai eu le bonheur de rencontrer l’une des rares spécialistes françaises des araignées, Christine Rollard. De quoi regarder autrement ces bestioles que l’on re-jette (ou écrase même, pour beaucoup…) trop souvent sans rien connaître d’elles. De quoi interroger encore, dans le cadre de cette enquête, l’évolution du vivant sur terre et les leçons que nous pouvons en tirer.

Comme je vous l’ai déjà confié, je n’ai pas peur des araignées, mais je ne me suis jamais penchée plus que ça sur leur cas. A la maison, je suis en charge de gentiment les mettre dehors quand mon mari, à tendance arachnophobe, me le demande. Aussi cette habitude va-t-elle bientôt changer tant celle qu’on surnomme « la femme araignée » a un don pour transmettre sa passion : son antre recouverte d’araignées vivantes, mortes, en bocaux, en liberté, en peluche, en plastique, en dessin, en photo, emprisonnées dans de l’ambre… est un véritable « univers en soie ». Pendant cet après-midi que nous partageons ensemble, je suis prise dans la toile des connaissances de mon interlocutrice et découvre à quel point 1) je n’y connais rien, 2) que c’est bien dommage, 3) que cette histoire dit beaucoup de notre rapport à l’inconnu et à la différence.

Je n’y connais rien tout d’abord car j’ignore tout d’elles, ou presque : la réalité est qu’on dénombre à ce jour 128 familles et 48864 espèces d’araignées (1750 en France, réparties dans 47 familles). Qu’est-ce qui les relie ? Le fait d’avoir un corps composé de deux parties (le céphalo-thorax où sont attachées les huit pattes et l’abdomen). Le fait de mordre, de fabriquer de la soie (et différents types de soie, selon qu’elle l’utilise pour se déplacer, pour définir un territoire qui capture ses proies, pour y protéger ses oeufs !) et du venin (qu’elles utilisent pour digérer leur proie par un processus d’exo-digestion qui leur permet de liquéfier leur proie avant de l’aspirer). En moyenne, cet animal solitaire fait 5 millimètres de taille de corps (c’est dire !) et serait vieux de 305 millions d’années. Elles ne possèdent pas le même nombre d’yeux selon les familles, toutes ne font pas de toiles, celles qui en font ont des techniques de tissage différentes, tout comme certaines peuvent sauter, d’autres cracher (en lançant un véritable filet qui enrobe une proie en un millième de seconde), etc. On ne peut donc parler de l’araignée au singulier !

C’est dommage de ne pas s’intéresser plus à elles tant leur évolution force le respect. On trouve des araignées partout, sauf aux pôles. Elles ont su s’adapter dans tous les milieux, elles ont colonisé le monde par une stratégie de dispersion aérienne (à la naissance, jeunes, elles se laissent porter dans les airs et peuvent ainsi parcourir des milliers de kilomètres) : ces « voyageuses du hasard », comme les appelle Christine Rollard, ont privilégié des modes d’innovation individuel plutôt que des colonisations de masse. Pourtant, nous avons culturellement bâti une peur non justifiée des araignées: elles sont rarement mortelles (leur venin ne tue qu’entre 5 à 10 personnes par an dans le monde, contre 100000 pour les serpents par exemple), et ne se préoccupent pas des bipèdes : « nous ne sommes rien pour elles, nous ne sommes pas une proie ! » relève ainsi Christine Rollard qui se bat depuis 32 ans contre les idées reçues qui pèsent sur les arachnides (et ce d’autant plus que l’araignée n’a pas cette image en Asie, en Afrique ou dans certaines territoires et départements d’Outre Mer Français). Pour elle, les adjectifs appropriés pour en parler correctement sont au nombre de quatre : soyeux, sensoriel, sensitif, et sensible. Leurs pattes ne sont en effet pas recouvertes de poils, mais de soies qui leur offrent des capacités mécano-réceptrices et chimio-réceptrices. « Pour conserver au mieux cette perception multisensorielle, elles effectuent régulièrement des toilettes de chat » s’amuse encore la chercheuse, qui aime les rendre attendrissantes et rappeler à quel point leur présence sur terre régule les populations d’insectes (elles dévorent environ 400 millions d’insectes par hectare par an, soit plus que les oiseaux.)

Enfin, si les araignées disent beaucoup de notre rapport à l’inconnu, c’est parce qu’elles sont une allégorie de « la peur irrationnelle d’un Autre, juste à cause d’une mauvaise réputation et d’une gueule qui ne nous revient pas« , comme l’exprime si bien le journaliste scientifique Antonio Fischetti dans un article publié tout début 2016 dans Charlie Hebdo. « Les araignées nous enseignent que la peur est entretenue par l’ignorance et le fantasme, mais atténuée par la connaissance et la familiarisation » continuait-il, en faisant référence à la montée du FN après les attentats ayant frappé la France en 2015…

L’article d’Antonio Fischetti illustré par Riss, affiché dans le bureau de Christine Rollard

Pour remédier à cette mauvaise image que beaucoup ont des arachnides, Christine Rollard accompagne depuis 25 ans celles et ceux qui en ont une peur phobique. Un accompagnement individuel et un temps bénévole qu’elle considère faire partie de sa mission de chercheuse, « pour se mettre au niveau et aider à comprendre pour changer les comportements » explique encore la militante, dans une vraie démarche de vulgarisation et de médiation scientifique.

Par les temps qui courent, cela nous rappelle à quel point il est nécessaire de suivre le fil, de retisser des liens et de méditer sur notre rapport au vivant… D’autant que nous sommes loin d’avoir découvert toutes les espèces d’araignées sur terre, et que nous n’arrivons pas encore à percer le mystères des incroyables capacités dont l’évolution les a dotés – notamment les propriétés contenues dans son fil de soie, qui en font une incroyable, mais discrète, prédatrice… Bref, de quoi vraiment changer de regard !

Pour aller plus loin

+ Arachna, un beau livre écrit avec Vincent Tardieu en 2011

+ A écouter : cette conférence autour de son ouvrage co-écrit avec Abdelkader Mokeddem, « je n’ai plus peur des araignées » chez Dunod

+ Il vient de sortir : 50 idées fausses sur les araignées, chez Quae Edition

+ Super Spider, super documentaire de Vincent Amouroux (Zed Production)

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