« Avec le Spipoll, je suis vite devenue accro »

Le Spipoll est une magnifique communauté passionnée par les insectes dont je souhaitais vous parler alors que la chronique « je me lance » que je signe dans dernier bimensuel de La Salamandre aborde notre rapport à ces petites bestioles. Leur vie minuscule tisse une œuvre qui nous échappe, qu’on méconnaît (et qu’on écrase aussi parfois !) alors qu’elle nous est indispensable. J’ai rencontré certains de ses adeptes, fou d’insectes donc, qui ont accepté de témoigner de leur dévorante passion.

Image : Barbara Mai
Image : Barbara Mai

C’est en parlant avec Grégoire Loïs, ornithologue, chercheur au MNHN et coordinateur du programme de sciences participatives Vigie Nature que j’ai découvert l’existence d’une étrange communauté en France : les mordus du Spipoll, des personnes qui comme vous et moi, un jour, basculent dans l’observation acharnée et passionnelle de ces petits colocataires à six pattes.

« Quand mon collègue Romain Julliard a lancé ce programme j’étais dubitatif« , me confie Grégoire Loïs alors que nous parlions des projets de sciences citoyennes (conçus pour associer le public à l’observation et au recensement de certaines espèces), « mais aujourd’hui force est de constater que le suivi photo des insectes pollinisateurs est celui qui a le plus de succès ! Il est pourtant long et compliqué, mais les échanges sociaux y sont fort riches et les participants quasi-addicts ».

Un déclic

Une affirmation confirmée par Valérie Valdes, qui a eu vent de l’existence de ce site en mai 2010, via une annonce dans la revue Chasseur d’images : adhérente depuis toujours à la LPO, au WWF ou à la SPA, elle ne milite pas mais aime photographier les papillons lors de ses randonnées. Le programme Spipoll lui donne envie de s’engager un peu plus, « de faire une petite part avec mes modestes compétences » confie-t-elle.

Le principe, sur Spipoll, consiste à observer un massif fleuri pendant vingt minutes. Il faut prendre en photos tous les insectes qui y passent pendant cette durée, puis les identifier, et partager les résultats sur le site, en échangeant avec la communauté sur les détails, les espèces non reconnues, ou sur d’autres aspects encore.

Image : copie d'écran de la page d'accueil du Spipoll - photo : Janmar
Copie d’écran de la page d’accueil du Spipoll – Photo : Janmar

Rapidement, elle se prend au jeu au point de planifier ses parcours de randonnées ou de programmer ses vacances à cette fin : « en 2011, j’ai commencé à partir seule pendant une semaine, dans les Pyrénées ou dans les Alpes… en quête de fleurs extraordinaires où guetter de merveilleux papillons ! » explique Valérie qui profite aussi de sa pause déjeuner ou d’une fin de journée, après le travail, pour observer ce qui se passe dans les espaces verts de sa ville. Sa fille, parfois, l’accompagne dans ses randonnées : « elle supporte car elle sort ses aquarelles et elle dessine pendant que j’effectue mes observations ».

Chaque session d’observation est condensée dans un carnet : « je regarde l’heure, je mitraille ma cible, puis je note le ciel, la température, le vent, le nombre d’insectes par espèce ». Une fois la session terminée, les prises sont basculée de sa carte SD au disque dur. « Je trie ensuite les clichés par espèces, selon les meilleures photos que je recadre sans jamais les retoucher. De fait, j’y passe un temps fou et je crois avoir plus de 1600 sessions d’observation référencées sur le site… » me confie Vali, qui vit le Spipoll comme une révélation : « depuis 2011 ma participation a diminué, mais cette pratique est inscrite dans mon ADN : je ne peux vivre sans« , ajoute celle qui ne savait pas avant distinguer autre chose que les abeilles et les papillons. « Je suis assez curieuse, je ne connaissais que l’abeille et les papillons, je ne connaissais que ça, et quand on fait des photos on a envie d’en faire plus.. on apprend tous les jours, à chaque session j’apprends. On fait aussi une sorte de méditation, quand on est sur un fleur pendant 20 minutes, on connaît leurs habitude, je me ressource franchement – le moins intéressant étant le temps passé à retravailler les photos »

Pour Barbara, c’est la même passion qui est née dès 2010 : sensible aux enjeux liés à l’érosion de la biodiversité, elle commence à photographie les plantes sauvages et médicinales dès la fin depuis la fin des années 1990. « Avec le Spipoll, je suis vite devenue accro. C’est la découverte d’un nouveau monde, pléthorique, pour peu qu’on se penche sur le sujet. Je suis émerveillée, même devant une mouche ! Je sais que ce que je fais est utile, ça a du sens pour moi, et cela m’a aidé à trouver ma place à un moment de ma vie où je voulais faire quelque chose de concret, en apprenant ». Cette activité est pour elle une façon de contrer les mauvaises nouvelles : « au bout de dix ans, j’apprends encore et découvre chaque jour de nouveaux insectes ! » confie celle qui explore au maximum son environnement proche et qui a enrichi ses connaissance au fur et à mesure, avec les autres membres de la plateforme.

Un club : les Spipollien.nes

Aussi les liens tissés par cette activité sortent-ils de ce que chacun pouvait imaginer. Voyant la qualité des échanges et le dynamisme de chacun, l’équipe du Spipoll a décidé d’organiser une rencontre nationale en 2016. Un souvenir « extraordinaire » pour Vali : « au début je pensais être la seule à faire ça, j’ai arrêté de faire de la couture, des colliers, le bricolage, je ne pensais plus qu’à avoir du temps libre prendre mon appareil, aller dans les collines près de Nîmes, repérer de futurs spots… Et quand j’ai rencontré tous les autres, ça a accroché tout de suite. Je n’étais plus la seule « neuneu », il y en a plein d’autres qui passent un temps de folie. Il y a une « famille », on fait partie d’un groupe, des gens qui sont cruciaux pour moi ».

Barbara ne manque aucune rencontre : « on échange beaucoup entre contributeurs, j’avais besoin de les voir en chair et en os ! Depuis il n’est pas rare qu’on se voit aussi les uns chez les autres. J’ai notamment rencontré Albert, qui dans le Gard, à Uzès, a conçu un insectodrome : là bas, je suis comme une enfant dans un parc d’attraction, il a mis différents types de terre, il construit des hôtels à insectes qui sont de véritables œuvres d’art, c’est fou ! » La vidéo suivante donne un petit aperçu de l’ambiance lors des rencontres nationales de 2018 :

Grégoire Loïs confirme à quel point certains participants ont arrêté certaines activités sociales en raison de leur implication dans la communauté : « une participante a du quitter son club de randonnée car elle était trop lente… à force de photographier. Certains vont acheter du matériel assez cher, d’autres font des pauses sur la route, quand ils sont en déplacement… Cela va vraiment au delà d’une forme d’empathie et de bienveillance, la participation devient une nécessité », relève-t-il, avouant qu’il fait aussi partie de ces mordus. D’après lui, il y a différents profils et modes d’addiction (voir d’ailleurs ce témoignage récent). « Certains nous ont menacé, si on arrête le Spipoll ! Ils partagent une passion commune, et ce succès s’explique aussi par la façon dont le site est animé, avec une approche ludique, une compétition entre membres, des jeux et défis lancés par des participants eux-mêmes ». Sachant que la pratique peut aussi avoir son lot de péripéties : « Un jour des gens ont cru que je les espionnais, ça peut avoir un côté dangereux ! » s’amuse Valérie.

L’assouvissement d’un besoin profond

En réalité, la participation implique une forme d’accomplissement. « A la fin de la participation le participant doit avoir un sentiment d’utilité, il doit être pris au jeu, avoir envie de recommencer… Car la partie la plus importante n’est pas de notre ressort mais du citoyen », note Grégoire Loïs.

De fait, ces pratiques sont à l’origine de ressentis bien spécifiques chez les membres : « ça m’apaise, je suis émerveillée par toute cette cohorte d’insectes qui cohabitent, des fois on assiste à des scènes de prédation, des scène d’accouplement, des mouches qui font leur crotte… C’est la vie… alors que j’y connaissais rien avant, ils construisent un monde entier qui s’ouvre à nous » narre Barbara qui « avait l’impression au début d’être une aventurière, d’aller dans une autre société, de découvrir d’autres mœurs, avec des interactions passionnantes », sans oublier l’utilité et la gratuité du service rendu par ces petites bêtes.

« Quand je suis en session, c’est très fort : les émotions me submergent et je ne fais plus qu’une avec la nature. J’ai l’impression de revenir à un état premier, à ce que nous avons toujours été, des émotions que d’autres ont ressenti avant. Je me sens grande privilégiée », confie Valérie, qui a couru des montagnes pour y voir un papillon emblématique. « Quand je le vois mon cœur bondit, je suis toute émue de le voir si fort et fragile à la fois, mais je ne peux partager cela avec tout le monde... » ajoute-t-elle, riche de ses sentiments de gratitude et d’émerveillement. Et de la sensation de faire partie d’un tout – aussi bien de la nature que des chercheurs que des militants: « en immersion on réalise qu’on n’est rien, qu’on ne sait pas se débrouiller, mais surtout que les abeilles n’ont pas besoin de nous, que l’araignée sait tisser sans nous, que l’arbre sait pousser sans nous non plus, ça nous remet à notre juste place, ça m’a obligé à observer la nature de façon différente », ajoute Valérie, soucieuse de ne pas tomber non plus dans une forme d’intégrisme.

Polliniser à son tour

Qu’en disent leurs proches, de les voir tellement accros ? « Ils le savent, à force, et me disent « bon, tu vas aux insectes » ou « on t’attend pour manger ? Tu rentres tard » ? » explique Valérie. A les voir faire, leur entourage se prête peu à peu au jeu ! « Pendant les vacances une collègue m’a envoyé un papillon pris en photo vers son portail. Mon père de 86 ans a aussi modifié le rapport à son jardin potager, son regard a changé : il n’utilisait pas beaucoup de produits phytosanitaires et maintenant il ne met plus rien, il observe… Dans ces cas là je me sens comme une petite pierre dans l’Edifice… S’il y en a un.e qui change, c’est déjà ça de gagné ! »

Barbara aussi éveille la curiosité de son entourage : « les gens sont plus attentifs, ils remarquent des choses qu’ils ne voyaient pas avant, me posent des questions » note celle qui va même plus loin, en sensibilisant sa commune et en distribuant des flyers somme autant d’invitations à se pencher plus attentivement sur notre patrimoine naturel.

« En face de mon immeuble, il y a des pissenlits qui sont souvent ratiboisés… Ce n’est peut être rien comme ça, mais j’ai interpelé le voisinage, j’ai fait une affiche composée de plusieurs photos (cf. les affiches ci-dessous, NDRL) pour montrer en quoi cette flore nourrit ce petit monde, et pourquoi il ne faut pas la couper ainsi ! » explique aussi Barbara, qui a diffusé cela sur ses réseaux, par email aux collectivités, etc. avec succès !

Note : une 5ème affiche sur le lierre est en cours de réalisation.

Une chose est sûre : les interactions entre les membres du Spipoll sont si nombreuses qu’elles ont été étudiées. Pour Grégoire Loïs, il est intéressant de constater que la communauté, certes petite si on la compare à des programmes britanniques similaires (15 000 participants au Spipoll, contre 3,5 millions au Royaume Uni sur certains programmes) n’en est pas moins active, au contraire ! « Les Anglais sont en pointe, ils mobilisent des masses faramineuses mais ils demandent moins. En France on a moins de participants mais on demande plus de détails. »

Bref, avec le confinement de printemps 2021, sans doute allez-vous craquer vous aussi et entrer dans cette communauté ?

++ Note ++

Le Spipoll est issu d’une collaboration entre le Museum National d’Histoire Naturelle et l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE) qui organise prochainement son colloque « Demain, des insectes ? » : RDV en ligne le mercredi 14 avril 2021. Modalités à venir sur leur site et sur les réseaux ! #demaindesinsectes

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