Jonk: « quoiqu’il advienne de l’Homme, la nature sera toujours là »

La vie sait s’accrocher, et sa capacité de résilience est surprenante. C’est, en substance, le message que nous transmet le travail photographique de Jonk, qui vient de publier Naturalia II, un nouvel opus de sa Chronique des Ruines Contemporaines. Rencontre.

Photo : Jonk, Naturalia II – Théâtre à Cuba

Dans une autre vie, Jonk était trader. Passionné de graph et de photos, il a abandonné les tableaux financiers pour se consacrer à un autre type de fresques : celles que le monde végétal dessine dans les ruines et autres sites abandonnés par la nature humaine.

Seul photographe à s’être ainsi emparé du sujet, ses clichés documentent soigneusement la façon dont la « nature » reprend ses droits : avec plus de 1500 sites visités dans 50 pays et sur quatre continents, son attrait pour ce type de lieux à l’abandon s’est renforcé: « ce thème s’est imposé naturellement de par la conscience écologique qui m’anime depuis mon plus jeune âge et la force du message qu’il porte : la question de la place de l’Homme sur Terre, et de sa relation avec la Nature. »

A l’entendre, c’est surtout cette notion de temps perdu, comme suspendu ou inexistant, qui lui plaît dans ces lieux oubliés. Un temps mérité, aussi, car sa quête se prépare bien en amont : si la communauté qui suit son travail commence à lui partager l’existence de certains sites, il a pris l’habitude de bien s’organiser en amont. Pour cela, Google Earth est l’outil idéal : il y passe des heures à survoler les pays ou zones où il souhaite se rendre, il repère des sites, établi ensuite son plan, trace sa route. Puis vient le moment du voyage, de la découverte, des sites inaccessibles ou ceux qui ne sont finalement pas intéressants.

Photo : Jonk – Bar, Croatie (à force de Covid et de confinement ça pourrait finir par y ressembler:)

S’il n’a jamais fait de mauvaises rencontres en entrant dans certains lieux, il reste prudent : « on est jamais à l’abris d’un accident, de planchers abîmés qui peuvent flancher par exemple. Je croise parfois des squatteurs ou des glaneurs, et souvent on fait comme si on ne s’était pas vus« . Jamais il n’a été arrêté non plus, et si cela devait arriver, il a confiance en son projet pour croire qu’on ne lui en voudrait pas.

Depuis le premier ouvrage qu’il a publié sur le sujet, il y a trois ans, Jonk constate, comme beaucoup, la façon dont la situation se dégrade. « L’impact de l’Homme sur son environnement n’a jamais été aussi fort… L’Homme construit, l’Homme abandonne. A chaque fois pour des raisons qui lui sont propres. La Nature n’a que faire de ces raisons. Une chose est sûre, quand l’Homme part, Elle revient et reprend tout » , explique-t-il, en trouvant ici un moyen efficace d’insister sur la notion de trace et de sillon… De quoi réfléchir au rôle que nous avons tous à jouer sur cette Terre.

Photo : Jonk – Piscine, Belgique

Dans Naturalia II, chacune des 221 photos réalisées dans 17 pays différents diffuse une étrange poésie, comme une invitation à méditer sur le temps qui passe et sur les éphémères créations de l’Homme. « Son objectif d’appareil photo, à travers les photographies aux couleurs douces, nous emmène dans un voyage à travers de hautes structures architecturales souvent complètement envahies par les mauvaises herbes errantes, d’immenses coquilles de béton ou d’acier tombées en ruine, ainsi que de véhicules, voitures, avions et chars. Toutes ces images sont marquées par des signes de décrépitude, de vieillissement ou de délabrement. Les ruines, semble-t-il nous dire, ne sont qu’une étape du processus, suivies plus tard par des tas de gravats, et plus loin encore, rien de plus que les traces ou les vestiges de ce qui a précédé » explique ainsi Alain Schnapp, historien et archéologue, auteur de nombreux ouvrages sur le thème des ruines et ancien directeur de l’Institut National de l’Histoire de l’Art

Pour Yann Arthus Bertrand, qui signe la préface de Naturalia II, « ce que fait Jonk avec son travail Naturalia porte un message fort : montrer à quoi ressemblerait la Terre si l’Homme venait à disparaître. Ce message pourrait être apocalyptique. Or la manière utilisée ne l’est pas du tout. En choisissant soigneusement les lieux qu’il montre, Jonk se sert de la beauté pour faire passer son message. La sobriété des cadrages pousse encore plus ce message. Jonk s’efface derrière ce qu’il montre ».

Photo : Jonk – Chateau Croatie

Parmi les sites qui l’ont le plus marqués ? Un hangar abandonné à Taiwan, où il a pu surprendre quelques singes malheureusement impossibles à photographier car perchés sur le toit. Mais surtout l’architecture soviétique, pour laquelle il nourrit une vraie passion. D’ailleurs, il organise souvent des échappées à Tchernobyl, un compteur geiger en main, afin d’immortaliser une nature devenue, par ce drame, comme surhumaine...

Devant ses clichés, je repense à François Terrasson dans La peur de la nature (Sang de la terre Ed.) : « une ruine, c’est l’endroit où la nature reconquiert un lieu de civilisation humaine. Une puissance étrangère faite de mousse, de ronces, d’orties, de lézards et de limaces s’infiltre, s’installe, triomphe là où l’homme avait dressé le symbole de sa puissance face à l’environnement : sa maison ». Face à cette puissance qui reprend son droit, les ronces, le piquant et la vigne vierge qui en effet sont souvent les premières à s’infiltrer, note aussi le photographe.

Photo : Jonk – Chateau Montenegro

Âgé de 36 ans, encore parisien, Jonk expose à travers le monde (Paris, Luxembourg, Chine…) et lance maintenant sa propre maison d’édition afin de soutenir cette publication tout autant que de nombreux autres projets à venir. Il a déjà gagné des concours internationaux (notamment Earth Photo 2020) et son travail a été publié sur de prestigieux supports papiers (Der Spiegel, Corriere della Sera, Lonely Planet, Le Monde, Ouest France, GQ, Télérama…) ou internet (National Geographic, New York Post, Smithsonian, ArchDaily, AD, BBC, The Guardian…).

De fait, la pandémie a freiné certaines de ses excursions, mais ce passionné d’urbex et d’architecture soviétique entend bien reprendre dès que possible. Si tout va bien, Naturalia III sortira même dans trois ans. Affaire à suivre donc !

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