Richard Gonzalez : « les champignons nous connectent à un vivant pluriel »

J’ai rencontré Richard Gonzalez il y a plus de dix ans, via l’univers des blogs traitant des questions de nature et d’écologie. D’un commentaire à un autre sur nos supports respectifs, nous avons fait connaissance, puis avons participé à des rencontres communes de blogueurs (je vous parle d’une autre époque !) et contribué ensemble à Ecolo-Info, un projet associatif de sensibilisation aux questions d’écologie.

Ce projet a évolué depuis, mais les liens que nous avons tissés sont toujours là et c’est avec joie que j’ai revu Richard il y a un an de cela environ, lors d’une projection de mon film sur les médias en région grenobloise. Car oui, Richard habite à Grenoble et je crois bien qu’il connaît les environs comme sa poche : pour cause, cet amoureux de la nature, journaliste de profession, est un photographe amateur qui guette la première occasion pour mettre le nez dehors : comme il le dit si bien, « les couleurs du monde, le chant du vivant, le velours des mots, la pluie d’avril font mes beaux jours« .

Aussi m’annonce-t-il lorsqu’on partage ce petit moment ensemble qu’il vient de finir un Diplôme Universitaire de Mycologie à l’Université de Lille et qu’il va bientôt lancer un magazine en ligne sur le champignon. Je trouve l’idée géniale, de niche certes, mais justement, d’autant plus intéressante ! Il faut être sacrément mordu par le sujet pour reprendre les études et se lancer dans un média spécialisé, non ?

Comme son magazine est en ligne depuis peu, je lui ai posé quelques questions pour en savoir plus sur sa démarche…

Photo : Richard Gonzalez, Amanita Muscaria

Bonjour Richard, on se connaît un peu mais je suis loin de tout savoir sur toi… Depuis quand t’intéresses-tu aux champignons ?

Depuis toujours ! A l’âge de 4 ans j’allais déjà en forêt avec mes parents et grands-parents pour chercher de quoi nous régaler. Nous faisions cela à la saison bien sûr, mais j’ai un déclic à l’âge de 15 ans : c’est le printemps, et lors d’une promenade je tombe pour la première fois sur des morilles que je ne cherchais pas. Là, c’est un effet waouh ! Depuis ce jour de 1983 d’ailleurs j’ai pris l’habitude de tout consigner sur des carnets, de décrire mes découvertes et même de dessiner. Sur ce dernier point cela dit, étant piètre dessinateur, je suis rapidement passé à la photographie…

Avec le temps, dans cette richesse du vivant grenobloise, je me suis aussi intéressé aux oiseaux, aux amphibiens, aux reptiles… j’ai oublié les champignons, avant d’y revenir il y a vingt ans environ.

Photo : Richard Gonzalez – Morchella Deliciosa

Pour quelles raisons ?

C’est la chasse au trésor les champignons ! On découvre à chaque pas de nouvelles variétés, on se sent connecté à un vivant pluriel, multiple. Il faut alors mobiliser tous ses sens : analyser les couleurs, toucher, sentir, goûter. Certains chapeaux sont plus veloutés que d’autres, voir même collants pour certains… Pour moi, il y a une dimension spirituelle, c’est vibrant un champignon : c’est le fruit d’un système sous terrain, ça pousse dans la nuit, ça interpelle et ça renvoie à notre imaginaire d’enfant peuplé de sorcières et de magie, avec cette large diversité d’espèces… Ils nous rappellent que nous ne sommes rien !

« Aller aux champignons » ne serait-il pas finalement qu’un prétexte pour créer un sentiment de communauté avec les éléments de la forêt ?

Oh oui ! Les champignons sont beaux et ce sont des bio-indicateurs de notre milieu, ils traduisent l’état de notre planète. Et quand on déroule le fil du fonctionnement d’une forêt, on se rend compte de leur rôle essentiel : la mycologie n’en est qu’à ses balbutiements et la biologie moléculaire remet en cause une bonne partie de ce qu’on avait déduit d’une évolution riche de 60 millions d’années. On pensait par exemple que les champignons avec peu de lamelles (telles les russules archaïques) étaient peu évolués, et parmi les plus anciens. Il s’avère que non, il y a eu de nombreuses ruptures dans l’évolution.

Sait-on combien d’espèces de champignons existent dans le monde ?

Actuellement il y aurait environ 30 000 espèces de champignons en Europe. On découvre 2500 espèces nouvelles par an, et on estime qu’il y en aurait au total 1,5 millions de connus dans le monde. La réalité, c’est qu’il en existe peut être même dix fois plus, nous n’en sommes qu’au début !

Durant le confinement j’ai redécouvert le bois derrière chez moi, et j’ai pu y recenser d’ores et déjà plus de 125 espèces… Sachant qu’il y en a certaines que je n’ai pas réussi à nommer car je n’ai pas de microscope pour regarder de plus près.

La réalité des champignons, c’est comme un rubik’s cube : on les classe, on les reclasse, on les déclasse, c’est captivant !

Photo : Richard Gonzalez – Cortinarius Orichalceus

J’imagine qu’ils ne « fonctionnent » pas tous de la même manière ?

Oui, ils dépendent surtout des arbres environnant et de la géologie. Selon que le sol est calcaire (parfait pour les morilles) ou argileux (sol acide) on observe des espèces différentes. Selon les arbres aussi : les champignons leur sont inféodés, ils vivent en symbiose. Il y a des espèces de champignons qu’on ne peut différencier qu’en fonction de la partie haute de l’arbre.

D’ailleurs, il n’y a que trois façons pour le champignon de se nourrir : il peut s’apparenter à un parasite, et il va détruire l’arbre auquel il est rattaché – on est ici en présence de polypores.

Il peut fonctionner en symbiose avec l’arbre : ce dernier lui apporte de la matière carbonée, il lui apporte de l’eau et des sels minéraux, via les radicelles des racines de l’arbre. De la sorte, ils échangent ce dont ils ont besoin et entretient des liens avec les radicelles de l’arbre, ils échangent ce dont ils ont besoin.

Le champignon peut aussi tout simplement se nourrir des matières organiques en décomposition, de l’humus, des herbes qui se décomposent, des feuilles.

Sachant que nous pouvons être un support nous aussi, on transporte avec nous plein de champignons, y’en a qui sont très utiles, comme la levure, la pénicilline…

A ce sujet, on parle plus souvent des champignons pour évoquer la cueillette de ceux qu’on aime déguster… quelle proportion représentent-ils dans cette variété d’espèces ?

Les champignons comestibles représentent 30 espèces au plus ! La majorité des champignons n’ont aucune valeur culinaire, 30 espèces sont mortelles, et une centaine d’autres toxiques.

D’un point de vue alimentaire, y’a des passionnés qui font des courses à ceux qui ramènent le plus gros paniers, et ça c’est dégueulasse ! Beaucoup font du ratissage, et c’est problématique à terme car quand on arrache tout cela détruit la capacité des champignons à se reproduire. Le carpophore est le fruit qui ne pourra plus émettre les spores qui permettent aux espèces de se reproduire et coloniser de nouveaux milieux…

Et je dis ça tout en soulignant que ces cueillettes « industrielles » ne sont pas la première cause de disparition des champignons. Comme pour tous les êtres vivants, c’est d’abord la dégradation et la fragmentation des milieux naturels, qu’on soit bien d’accord. En ce qui concerne les forêts, c’est la pression sylvicole accrue et le remplacement des essences d’origine par des résineux importés (Douglas, Cèdres, voire Eucalyptus, comme je l’ai constaté cet été en Espagne du Nord), qui acidifient et appauvrissent les sols. Un autre milieu est tout à fait en péril : les prairies non amendées. On y trouve ici de très belles espèces saprophytes, comme toute la famille des Cuphopyllus et des Hygrocybes, très colorées et comme vernies. La diminution drastique de ces champignons est en lien avec la transformation des pratiques agricoles et l’artificialisation des sols (construction de lotissements et de zones d’activités en plein champ). Citons par exemple l’un de ces beaux champignons : l’Hygrophore perroquet (Gliophorus psittacinus), parfois encore bien plus coloré qu’ici…

Photo : Richard Gonzalez – Gliophorus psittacinus

Comment as tu fait pour accumuler toutes ces connaissances et te former ?

Je vais dans les bois au moins une fois par semaine, et ma démarche naturaliste me pousse à noter et nommer tout ce que je vois depuis toujours. Pour cela j’ai commencé par acheter des tas de bouquins, notamment les références, comme ceux de Régis Courtecuisse. Puis en 1996 j’ai adhéré à la Société mycologique du Dauphiné, elle même rattachée à la Fédération mycologique et Botanique Dauphiné Savoie (FMBDS). Avec l’arrivée des réseaux sociaux j’ai commencé à partager mes observations en ligne : je co-administre le groupe Champignons de nos régions sur Facebook, et cela m’a permis de rentrer en contact avec des mycologues très connus. Puis on m’a proposé de me former, et c’est ainsi que j’ai passé mon DU en 2019 à l’université pharmaceutique de Lille – soit 120 heures de cours et une semaine sur le terrain, j’étais aux anges !

Maintenant que tu fais partie du cercle des spécialistes, peux tu nous dire ce que les mycologues fabriquent dans leur fédération ?

Déjà, il faut dire que la fédération rajeunit enfin : quand j’y suis arrivé dans les années 1990, j’étais surpris par l’âge des participants… Aujourd’hui, on observe un regain d’intérêt, on voit arriver des jeunes super calés, et aussi plus de femmes !

Entre passionnés, on échange sur nos observations bien sûr, sur nos préférences en matière d’étude de champignons (j’aime bcp les cortinaires par exemple mais je me perds dans les agarics alors que d’autres sont fort calés), on partage du matériel d’observation aussi.

Quels sont les débouchés professionnels quand on est mycologue aujourd’hui ?

Ceux qui vivent de leur passion sont maitres de conférence, ils enseignent pour les futurs pharmaciens, ou dans la recherche, mais certains créent aussi leur entreprise : il y a des champs d’application émergents pour utiliser le mycélium comme matériau de construction d’avenir (tel Fungus Sapiens à côté de Toulouse) ou pour re-semencer des parcelles agricoles pour enrichir les cultures (telle l’entreprise Mycophyto). Les enjeux autour du champignon sont énormes.

Et quand on est mycologue, passionné ET journaliste on lance un magazine spécialisé 🙂 Que peut-on lire dans Champignon Magazine et comment souhaites tu développer ce nouveau média ?

Le rythme de publication est tel que je propose un nouvel article par semaine pour l’instant. Je présente une espèce par mois, j’effectue des portraits de mycologues, je propose des balades et des retranscriptions de sorties abondamment illustrées, en alliant poésie et science… Je mets aussi en avant des artistes, des photographes.

Mon idée est de fédérer des lecteurs et des passionnés, des acteurs dans le métier, des usagers et des amateurs désireux de faire des sortie terrain aussi.

As tu quelques conseils à partager pour celles et ceux qui veulent s’y mettre ?

Les applications ne sont pas efficaces, évitez de vous y fier !

Privilégiez les guides, tels les guides de références proposés par Regis Coutecuisse et Bernard Duhem ou celui de Guillaume Eyssartier chez Belin.

Puis pour finir sur les morilles, forcément, je ne peux que recommander le beau Morilles de France et d’Europe de Philippe Clowez et Pierre-Arthur Moreau.

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