Le jour où j’ai pris la vie avec phylogénie…

A force d’enquêter sur notre lien au vivant, j’ai eu envie il y a quinze jours de remonter le fil de nos natures profondes. Pour comprendre les lignes de vie, j’avais besoin de plonger dans l’histoire naturelle et les représentations de l’évolution du vivant, et plus particulièrement de grimper sur les arbres phylogénétiques, plus communément appelés « arbres de vie ».

Comme moi, vous avez sans doute abordé cela en classe, en cours de sciences naturelles ou de biologie. J’en avais personnellement un vague souvenir, des idées floues et plein de questions bêtes que j’ai commencées à poser à Gilles Boeuf, ancien Président du Museum d’Histoire Naturelle que je connais bien et avec qui je passe pas mal de temps ces temps-ci. Fin novembre, lors de notre dernière entrevue, Gilles m’a emmené au 18ème siècle à la rencontre de Carl Von Linné, de Darwin, mais aussi de Lamark, Buffon et Wallace, quelques uns de ces grands noms de la classification du vivant. Il a pris le temps de m’expliquer avec passion la façon dont ces ces biologistes-collectioneurs ont consacré leur vie à voyager, collecter, observer, capturer pour dessiner, décrire, comparer, argumenter et classer de manière intelligible la faune et la flore de notre planète. Il me partage aussi des anecdotes sur leurs inimitiés, sur la façon dont les plus grands Museum au monde (à Paris, Londres et Washington) ont bâti leurs collections, et sur effets du progrès de l’analyse génétique dans la manière de classer le vivant.

Questions historique

Je vous passe la séquence émotion quand Gilles me propose de consulter une copie originale de l’Origine des espèces, de Darwin, dans lequel on retrouve l’une des premières représentations d’arbre phylogénétique… voyez plutôt :

Dans sa caverne d’Ali Baba de la biodiversité, Gilles possède aussi LA bible de la phylogénétique (l’art de classer le vivant) : la Classification phylogénétique du vivant, rédigée par Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader (en deux tomes, chez Belin Ed). Deux beaux pavés illustrés devenus depuis leur sortie la référence pour tous les étudiants, profs et naturalistes désireux de s’y retrouver dans la jungle du vivant.

Il y a deux semaines donc, j’ai commencé à potasser la classification et la systématique, pour essayer de comprendre la manière dont nous nous situons dans cette chaîne de la vie. J’avoue, ce n’est pas chose facile au premier abord : si ce travail de classification est passionnant, il est aussi vertigineux et la classification est une discipline à part entière – qui n’est d’ailleurs pas celle qui passionne le plus les jeunes qui se lancent dans les sciences naturelles, comme me l’a confié Géraldine Veron, chercheuse au MNHN et directrice adjointe de l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité.

Je comprends ensuite que les critères pour classer le vivant ont évolué au fil du temps : forcément, des observations faites à la fin du 18ème siècle à celles qu’il est possible d’effectuer aujourd’hui, il y a des nuances rendues possibles par les avancées en génétique notamment. « Pour établir une phylogénie et opérer des liens de parenté, on utilise principalement des caractères biologiques spécifiques. Ma génération a vu apparaître des caractères nouveaux pour la phylogénie, avec les caractères moléculaires, le travail sur les protéines, puis les données génétiques (amplification de l’ADN, nouvelles technologies de séquençage). Cela relève plus de la bio-informatique que de la systématique, mais cela permet d’accéder à des quantités de données qu’on avait pas avant », témoigne en ce sens Géraldine Veron, pour qui cela a déterminer les caractères sont les plus pertinents pour établir les relations de parenté de nombreuses espèces.

Francis Hallé, botaniste, a aussi fait évoluer la façon de classer les arbres en remettant en cause l’approche de Linné : là où ce dernier ne s’appuyait que sur les fleurs et les fruits pour classer les végétaux, Hallé développe une classification selon le modèle de croissance des arbres. « Le modèle de croissance est unique dans le vivant, alors que j’ai pu identifier 24 modèles de croissance différents pour les arbres » explique le célèbre spécialiste des forêts, dans le documentaire « La vie d’une forêt ».

« Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est à la lumière de l’évolution »

Thoedosius Dobzhansky

Aussi faut-il préciser une nuance importante ici : généalogie et phylogénie ne sont pas la même chose. « La généalogie montre qui descend de qui, les ancêtres y sont identifiés individuellement. La phylogénie montre qui est plus proche de qui. Les ancêtres n’y sont pas identifiés, mais reconstitués par morceaux, tel un puzzle incomplet » peut-on lire dans l’ouvrage de Lecointre et Le Guyader. Le principe est simple : les individus, les populations et les espèces entretiennent des liens par leurs généalogies au cours desquels ils se modifient et lèguent leurs acquis à leurs descendances. Les espèces ont donc une histoire évolutive qui peut expliquer l’ordre naturel. En biologie, on regarde la parenté évolutive : la classification reflète les ramifications de l’arbre unique du monde vivant.

Questions d’échelle

Et si la distribution des structures biologiques observées actuellement n’est que le reflet de la longue histoire du vivant, on ne peut qu’être saisi, en se penchant ainsi attentivement dessus, par la facilité qu’il y aurait à conclure que l’homme est la forme la plus évoluée du vivant sur terre. Aussi est-ce bien nécessaire de mettre représentations et idées reçues de côté tant cette notion d' »échelle des êtres » est ancrée dans nos esprits et dans des conceptions de l’évolution qui ont contribué à classer ce qui ne relève pas de l’humain par la négative (anthropocentrisme), qui ont vu l’évolution comme processus ayant pour but l’émergence de l’homme (finalisme) ou qui estiment que l’essence précède l’existence (essentialisme). Autant d’idées battues en brèche par le concept de descendance avec modification et ses conséquences. « Cela explique pourquoi, parmi les notions essentielles de la Science Moderne, c’est peut être ce qui tourne autour de la phylogénie qui est le moins bien assimilé par le grand public. Il est vrai que, si les bases biologiques sont difficile à appréhender, elles ne flattent pas toujours notre propre vanité » relèvent d’ailleurs les deux auteurs de La classification phylogénétique du vivant.

Une représentation de l’évolution dans le temps, l’une des plus jolies que j’ai pu trouver, partagée par Gilles Boeuf (cliquez pour agrandir dans un nouvel onglet)

Une chose est sûre : se plonger dans ces classifications permet de grandement relativiser notre place dans le règne animal et végétal. A l’échelle du temps, c’est comme si nous arrivions à minuit moins une seconde ! Connaissez-vous d’ailleurs, à ce sujet, l’expérience de la « deep time walk » ? Comme il est parfois compliqué de se repérer dans l’histoire de la terre et du vivant, avec des grandeurs de temps que sont les milliards et les millions d’années, des chercheurs du Schumacher College ont eu l’idée de les matérialiser à travers une marche : en 2008, Stephan Harding et Sergio Maraschin conceptualisent une marche de 4,6 km (pour les 4,6 milliards d’années qui nous séparent de la naissance de la planète Terre) dont les étapes ponctuent l’évolution de la vie sur terre… Rien de tel pour mesurer, après 4,6 km de marche, ce que nous représentons (ou pas) dans cette histoire…

Questions de classe

A date, dans l’ouvrage de Lecointre et Le Guyader, 1 749 577 organismes vivants sont recensés sur terre (et on estime qu’il y en aurait encore au moins 8 millions à découvrir). Ces organismes présentent tous deux propriétés exclusives associées : ils sont capables de recopier par eux-mêmes leur séquence d’ADN et ainsi de propager leur information génétique dans l’espace et le temps. Ils sont de plus capables d’assurer eux-mêmes la traduction de cette information génétique en protéines enzymatiques ou constitutives. Chose impossible à faire pour un virus par exemple, qui est donc exclu de fait de cette représentation.

Parmi les observations intéressantes, notons que des caractères partagés par différentes espèces ne suffisent pas à établir un lien de parenté pour autant. Il est possible de s’adapter à un milieu en développant des caractéristiques similaires, des convergences évolutives, sans pour autant faire partie de la même famille…

Enfin, les arbres phylogénétiques fonctionnent par noeuds et par taxons, dans une logique sur laquelle je ne m’attarderai pas (pas encore !)… mais il y a des noeuds de base, à partir desquels on remonte l’ensemble des liens de parenté. Citons ainsi les procaryotes (la structure ancestrale), les eubactéries (capables de croître dans des lieux hostiles, sans air, sans lumière, interviennent dans les premières étapes de formation d’un sol), les archées (groupe d’organismes procaryotes, sans noyau, peuvent être aérobies ou anaérobies) et les eucaryotes (fondamentalement aérobies, on en trouve partout, elles représentent une biomasse considérable au sein de tous les écosystèmes). Côté représentation, il y a des normes à respecter mais il y a aussi de jolies déclinaisons : je vous ai fait une petite sélection d’arbre phylogénétiques plus ou moins artistiques ci-dessous. Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas !

++ Pour aller plus loin ++

+ Biologie. Les bactéries, superstars de l’arbre de la vie

+ DATA. Visualisez l’arbre phylogénétique des espèces animales protégées par la CITES

+ L’arbre phylogénétique humain

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