Bilan de mon premier bivouac sous la neige

La semaine dernière, je suis allée en famille passer quelques jours au coeur du Parc Naturel Régional du Haut Jura (PNRHJ). L’occasion de rencontrer nombre de professionnels locaux et de mener quelques expériences que j’attendais avec impatience…

Photo : Natacha Bigan

Un défi

Lorsque nous avons commencé à travailler ensemble sur cette Aventure, Natacha (dont je vous ai déjà parlé ici) m’a mise au défi : « tu viendras me voir dans le Jura et on ira bivouaquer ensemble, y’a plein de choses à faire ici pour ton enquête ». Qu’à cela ne tienne, entre deux confinements je lui ai proposé de venir en hiver et en famille – quitte à traverser la France d’Ouest en Est, autant le faire sur une période de vacances, que les petits en profitent aussi !

J’attendais ce moment avec impatience : profiter de l’hiver pour faire du pistage dans la neige, rencontrer des photographes naturalistes, faire de l’affût et échanger avec les professionnels d’un PNR en prise avec de nombreux enjeux (Grand Tétras, Lynx, Loups, tourbières, éco-acoustique, etc.)… un joli programme qui m’a satisfait au plus au point !

Je ne vais pas tout vous révéler dans ce billet – j’aurais l’occasion de revenir plus en détails sur chacune des rencontres faites cette occasion, mais simplement revenir sur LA première expérience menée avec Natacha : un bivouac sous la neige, par -2°.

Photo : Natacha Bigan

Une expérience

L’idée, pour moi, est de faire une expérience de nuit à la belle étoile dans des conditions « extrêmes« . C’est l’occasion de comprendre comment on se prépare pour dormir à découvert en pleine nature, comment on se comporte, comment on observe, comment on aiguise ses sens, comment on teste ses propres limites… Pour certain.es habitué.es, cette expérience de bivouac n’aura sans doute rien d’original, mais comme le dit si bien Natacha : « maintenant que tu as bivouaqué dans ces conditions, tu sauras bivouaquer partout ».

Première chose à prendre en compte : la météo. Forcément. On a beau vouloir faire un baptême du feu dans la glace, y aller par -10° et par grand vent ne rend pas la chose facile, pour une première… Mon homme essaye même de me décourager quand il voit les prévisions : « tu es sûr que c’est bien raisonnable par ce temps, tu vas avoir froid non ? » Rien de tel pour me donner envie de foncer ! Avec Natacha, on part donc vers 16h30 le mardi. Les jours suivants, il fera beaucoup plus froid, là ça passera encore.

Deuxième chose : bien préparer son sac et son accoutrement, forcément. Un sac de 70 litres chacune, rempli avec des indispensables :

+ une bâche

+ un matelas gonflable

+ un sac de couchage

+ un sur-sac

+ une lampe frontale

+ un réchaud, une casserole, des couverts, une salière… bref de quoi « cuisiner » un peu

+ des gourdes remplies d’eau et un thermos de Roibos

+ des chaussettes, pull et autres vêtements chauds

On part également avec de bonnes chaussures, des raquettes, nos appareils photos. Je fais l’oignon, étant habillée avec deux collants, un pantalon chaud et étanche, un débardeur, deux hauts en laine/cachemire, deux pulls… sans parler de ma doudoune !

Troisième chose : apprendre à marcher avec tout ce matos et des raquettes. On a pas fait 3 mètres qu’un de mes pieds marche sur l’autre… comment vous dire… j’ai trébuché et j’ai failli terminer dans le décor, avec le sourire… L’empotée !!

Quatrième chose : bien choisir son spot. Natacha m’emmène à une demie heure de chez elle en voiture, dans un coin isolé. On arrive vers 17h30-18h, il fait encore jour. On marche pendant 40 minutes pour repérer LE spot depuis lequel nous pourrons faire un peu d’affût et s’installer pour la nuit. On repère les traces d’animaux, on essaye d’être loin de la piste de ski de fond du coin, en lisière de forêt… J’apprends à cette occasion à différencier traces de lièvres et traces d’écureuils, traces de renards ou d’hermines, j’adore :

Lièvre (en « Y »)
Renard
Ecureuil

Cinquième chose : se taire. Natacha doit me le rappeler à plusieurs reprises. Ne pas parler ou chuchoter, être silencieuses tant que possible, discrètes, nous ne sommes pas chez nous, on va vite être repérées des kilomètres à la ronde. D’ailleurs, je n’aurais pas du mettre de parfum après la douche le matin : outre le bruit que nous faisons, ce que nous portons (les couleurs, l’odeur) entre aussi en ligne de mire…

Sixième chose : s’installer. Le sol semble assez plat sous les sapins que nous avons choisis. D’abord mettre la bâche, puis gonfler le matelas, dérouler le duvet, puis placer matelas et sac de couchage dans le sursac, bien étanche. Eviter de mettre de la neige sur la bâche bien sûr, s’organiser pour ne pas prendre froid aux mains ou ailleurs… Une fois notre barda défait, on observe et on profite, on contemple les environs, notre chambre à ciel ouvert. La nuit tombe vite, il est près de 19h, on va manger un bout avant de se coucher…

Chambre avec vue

Septième chose : manger. On a fait simple – des raviolis veggies et du gâteau au chocolat. Le réchaud ne chauffe pas trop vite, et chaque geste compte pour ne rien gâcher (faire tomber la casserole pleine d’eau, faire tomber les allumettes dans l’eau – heureusement elles sont dans un sac étanche). Natacha m’explique qu’elle ne se prive pas de cuisiner parfois, même avec ces ustensiles sommaires. A vrai dire, dans ces conditions, nos pâtes au sel, sans crème ni fromage, nous paraissent succulentes. Les conditions jouent et c’est à chaque fois pareil. Dans ce cadre inédit on se contente de peu. Le tout agrémenté d’une petite surprise d’habituée – un petit coup de rhum-vanille discrètement amené par Natacha dans une petite fiole dédiée. « La Tradition », m’explique-t-elle. J’aime ! ça me rappelle le monde de la voile, et des souvenirs de navigation plus jeune. Un certain goût d’aventure (un cliché ?)

Ensemble, on papote de ses multiples expériences ce bivouac (Natacha a toujours beaucoup voyagé ainsi), on s’interroge sur l’essor de ce type de tourisme et ses conséquences sur notre environnement… avec cette sensation qu’il est nécessaire de permettre à chacun de pouvoir le faire, mais pas n’importe comment… ce qui, de fait, interroge notre manière et de partager l’entité de nature… Vaste sujet !

Huitième chose : se coucher. La nuit est tombée, le froid se fait sentir. Il est temps de se mettre au lit. Je retire mes chaussures en vitesse, attrape la paire de chaussettes supplémentaires prévue pour la nuit… avant de réaliser que c’est une paire enfant et que j’ai aussi oublié mon draps de soie… zut ! Je retourne mon sac pour ne pas qu’il prenne l’humidité dans la nuit (des chutes de neige sont annoncées). Je glisse sans tarder dans mon sac de couchage toute habillée et mets mes pieds dans un des pulls que j’avais emmené en plus… l’oignon met du temps à fermer les écoutilles, faut dire qu’il ne faut pas bloquer le zip (satanée fermeture éclaire qui se coince dans le tissu !), et surtout ne pas avoir peur de ne laisser émerger que le bout de son nez !

Neuvième chose : dormir. Une fois que je suis coincée dans tous mes sacs, je m’aperçois que le matelas est très confortable. Au-dessus de nos têtes, un beau ciel étoilé. Au loin, deux chouettes. Ce sont des chouettes de tengmalm, en pleine période de reproduction. Un ami de Natacha deux jours plus tard reviendra dans le coin pour trouver sa loge, et l’écouter de plus près :

chouette de tengmalm, enregistrée par Quentin Ducreux, le 12.02.21

Il est 20h30, nous ne pouvons que papoter ou dormir… mais avant cela, trouver sa position et arriver à respirer… je ne vous cache pas que ce n’est pas aisé, en tout cas pour une première fois : réaliser que le froid est là, qu’il ne faut pas le laisser entrer, vouloir s’en protéger mais avoir besoin de respirer… Sentir deux heures plus tard qu’il neige sur vos paupières, vous cacher de nouveau en ne laissant passer qu’un filet d’air pour respirer… se tourner d’un côté, de l’autre, attraper son sac à la volée, se mettre sur le ventre et s’en servir d’oreiller… n’entendre que du silence entrecoupé du bruit sourd et lointain des avions.. arriver à dormir enfin… se réveiller par manque d’oxygène ou par humidité, avoir froid aux pieds… se rendormir… les pieds qui ont froid, les remettre dans le pull… se tourner, roupiller encore… respirer. Ou être mouillé… faire tenir le sur-sac de sorte à ce que la neige ne fonde pas dedans et que l’air puisse entrer… se rendormir… froid les pieds encore… Penser à celles et ceux qui dorment dehors toutes les nuits… dormir encore… un peu avant 7 heures être réveillée par le jour. Sortir de son terrier et réaliser avoir glissé dans la nuit de 50 cm : pas étonnant le froid des pieds, je n’étais plus sur la bâche… ! Neige = 1 moi = 0 !

Dixième chose : repartir. Sans rien laisser, tout replier, se faire discret. Mais surtout apprécier le paysage au petit matin. Le calme, la vaste étendue blanche, les quelques oiseaux qu’on entend chanter, au loin. L’impression d’être partie, comme mise à nue – sans toit – dans un bout d’éternité. Sensation d’ouvrir la possibilité de le refaire sans crainte après un test effectué dans de telles conditions…

Nota Bene : « Quand on part, on s’emmène toujours avec soi » disait Montaigne. On revient aussi autrement. A force, ces petites expériences ouvrent en moi d’autres voies, des possibilités, des explorations simples qui me sortent de ma zone de confort et me donnent envie d’être au monde encore autrement. Je suis convaincue de l’utilité de ces petites tentatives pour se relier au vivant.

Prochaine étape : m’équiper pour le refaire aisément, seule ou en famille. ça ne saurait tarder, le printemps arrive !

Et bien sûr, encore un immense merci à Natacha de m’avoir initiée à tout cela… 😉

Et vous, aimez-vous bivouaquer et pour quelles raisons ? Ou au contraire, est-ce quelque chose qui ne vous attire pas le moins du monde ? Et pourquoi ?

Commentaires