Peut-on construire sans détruire ?

Un massacre à la tronçonneuse. C’est ce à quoi j’ai assisté avant-hier au bout de notre allée, un matin tôt alors que je sortais dehors, encore en pyjama, avec mon fils… Accroché à 10 mètres du sol, un élagueur était en train de faire un carnage dans la longue allée de Cyprès hauts de 20 mètres qui bordent plusieurs hangars de la zone commerciale avoisinante.

Le bruit fait par le moteur de sa machine et la rapidité avec laquelle il taille dans les branches me font bondir et je sens la colère monter en moi. Je m’approche en courant, en râlant à voix haute, en mettant en cause le travail ainsi effectué : comment est-ce possible de ratiboiser des arbres de la sorte ? Ils sont là depuis une trentaine d’années, ils protègent le voisinage de bâtiments industriels, ils hébergent les oiseaux, ils font partie du paysage et du quartier… et les voir ainsi meurtris me rend folle.

J’appelle illico la mairie, en partageant mon étonnement : ne pouvons nous que subir la volonté de la voisine qui décide de vendre son terrain pour en faire un lotissement… ? Certes ces arbres ne sont pas remarquables, certes ils sont sur son terrain, certes le PLU ne l’en empêche pas mais tout de même : comment ne pas voir leur utilité ? Pourquoi ne pas avoir prévenu le voisinage en amont ? Comment, même, vendre un terrain en lui faisant ainsi perdre de sa valeur ?

Le maire me rappellera gentiment pour me redire ce que je sais déjà (en gros : c’est un terrain privé et on ne peut rien faire), mais cette histoire sème en moi l’envie de creuser et d’agir pour voir comment limiter ces agissements liés à l’étalement urbain et la pression financière et immobilière, comment créer des conseils de voisinage au sein desquels nous pourrions prendre soin, ensemble, du végétal qui nous entoure ?

Sur Facebook, où j’ai partagé mon indignation, plus d’une centaine de messages afflue : on me partage un désarrois similaire (« Quand on est partie de Sadirac les agences nous forçait la main pour diviser notre terrain pour la revente. Au prix du massacre de l environnement. Nous avons fait le choix de partir avec un apport respectable mais surtout de ne pas massacrer ce qui avait été la raison de notre motivation à y habiter. Tant que l homme sera animé par le fric j ai peur pour notre monde » me confie Eugénie; « Même combat à Anglet (64) où nos voisins ont abattu des arbres trentenaires (ou plus) qui faisaient le poumon du quartier. Une obligation de replanter un arbre pour chaque 100 m2 de terrain, sans aucune indication sur la variété. Les services de la Mairie sont de bonne volonté, mais sans contrainte… pas grand chose à faire mis à part pleurer le carnage… » me détaille Cécile; ou encore Pascale : « Il y a 5 ans j’ai empêché l’abattage de 25 arbres dans ma résidence, mais en me faisant élire au conseil syndical puis gros dossier et opposition radicale, Dans ton cas c’est différent mais il y a peut être un statut de protection? Une zone verte? Un corridor biologique? Un plan climat? En général l’abattage d’arbres est interdit sauf: maladies des arbres ou danger public. Il me semble que c’est valable pour les haies aussi. Et Îles coupes à blanc sont interdites. En tous cas en Bretagne. Courage. Sinon adresses toi aux équipes mobiles contre la déforestation sauvage …. « ), on me donne des éléments d’information et d’argumentation :

  • En misant sur le Plan Local d’Urbanisme : on peut protéger une haie sur tout un linéaire ou un arbre isolé. Et cela pour une raison de trame verte ou encore d élément paysager … pour un rôle en termes de ruissellement … La coupe ou l’abattage est par la suite réglementée. « Nous l’avons fait sur notre territoire, cela n est pas toujours respecté mais cela donne un point de départ pour protéger la trame verte dans les campagne et dans les villes » explique Sophie. Au moment de l’établissement ou de la révision du PLU, les arbres isolés remarquables (ex un chêne centenaire) les haies ou bandes boisées peuvent être classées en EBC Espaces Boisés Classés, c’est un classement lourd avec une procédure de déclassement difficile. Tout est donc affaire de volonté politique, et au bon moment… même si ce classement en EBC n’est pas forcément populaire, car actuellement les terrains boisés ont moins de valeur financières que les autres (on ne peut les urbaniser de la même manière !). Ce qui soulève ici la question de la fiscalité locale et de sa capacité à protéger notre environnement.
  • En fournissant un statut juridique et une valeur financière dissuasive. Valérie m’indique que « s’ils sont alignés il y a moyen d’agir. Aujourd’hui, la jurisprudence sur l’application de l’article L. 350-3 est dorénavant établie« . Il paraît que pour les arbres de plus de 30 ans on peut les protéger, mais attention aux listes d’exception.
  • En misant sur la directive européennes oiseaux de 2009, la taille et coupe d’arbres interdite du 31 mars au 31 juillet…
  • En affinant mes arguments : « Afin de responsabiliser les propriétaires, il me semble juste de leurs dire que 12 arbres adultes sont nécessaires pour l’oxygène journalier d’une personne ! L’asphyxie s’ajoute donc au réchauffement climatique donc participe à l’accélération de l’effondrement via ce comportement nihiliste de l’argent facile qui condamne les générations futures, des riches compris » me conseille Marc. Dans un document proposé par l’Ademe « Aménager avec la Nature en Ville » on mise aussi sur la capacité des arbres à capter les particules fines et très fines. « Pour rappel, la France à été condamné par la cour européenne pour le non respect de la qualité de l’air, dernièrement en 2017 et le 10 juillet 2020 le Conseil d’état à infligé une astreinte de 10 M d’€ par semestre de retard sur la mise en conformité sur cette obligation communautaire.Chaque année, en France, 67 000 décès prematures du seul fait de la pollution de l’air » souligne encore un autre participant à la conversation…

« Quelle étrange chose que la propriété, dont les hommes sont si envieux ! Quand je n’avais rien à moi, j’avais les forêts et les prairies, la mer et le ciel depuis que j’ai acheté cette maison et ce jardin, je n’ai plus que cette maison et ce jardin. »

Voyage autour de mon jardin (édition 1845) – Alphonse Karr

Suite à ma colère devant l’élagueur et mon message sur Facebook, les élagueurs ne sont pas revenus…* Mais cela me laisse un goût amer : je retiens au final que nos voisins ont un cruel manque d’élégance relationnelle, mais surtout que cette allée de cupressus (un arbre de pousse rapide), même si elle contribue a la monotonie des haies végétales plantées il y a 30 /40 ans, en étant ainsi massacrée, n’est qu’un effet colatéral de la funeste et désolante artificialisation des sols… En l’état de la loi et du PLU actuel il nous est impossible, en tant que voisins, de faire quoi que ce soit. Il ne nous reste qu’à nous organiser, localement, pour limiter le pire lors de la prochaine révision du PLU (mais qui, sincèrement, voit passer les infos à ce sujet quand on sollicite la participation des habitants ?), et de trouver le moyen d’aller rencontrer les voisins pour essayer de leur faire comprendre. Avant d’envisager de replanter et éviter de faire couler des tonnes de béton dans le champs qui a été nettoyé depuis.

In fine, tout cela révèle à mes yeux à quel point les humains sont pour certain.e.s définitivement coupé du monde qui les entoure. Et à quel point notre sensibilité à la « nature » ne peut être cultivée sans ménager la nature humaine… Affaire à suivre, car je ne vais pas en rester là vous pensez bien 🙂

*Update du 20 août : dès le samedi 1er août les élagueurs sont revenus, ils ont cessé de couper en deux dans la longueur les cyprès pour raser l’ensemble de la végétation qui avait envahi le terrain adjacent… la haie a été amochée pour rien on dirait, se sont-ils rendus donc de la laideur de ce qu’ils ont fait ? Maintenant j’imagine que la vente du terrain doit se conclure avant que des travaux soient lancés… suite au prochain épisode…

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